Forum Saint-Laurent 2016: un grand succès

La deuxième édition de la conférence annuelle du Forum St-Laurent sur la sécurité internationale a eu lieu à Québec le 6 mai 2016. Un des moments marquants qui contribua au succès, à la qualité et la visibilité de cette édition fut l’allocution de l’Honorable Stéphane Dion, ministre des Affaires étrangères du Canada. Il exposa la contribution que son gouvernement souhaite faire dans la réponse aux multiples crises qui secouent la scène internationale.

Attirant quelques 200 participants (fonctionnaires, représentants de la société civile, journalistes, étudiants et universitaires), cette deuxième édition aborda quatre thèmes : la sécurité en Afrique de l’Ouest, l’évolution des interventions internationales, les conséquences du changement climatique, et la perspective des praticiens sur les enjeux de sécurité internationale. La diversité des intervenants favorisa des débats éclairés et des discussions enrichissantes dont il est fait ici un compte-rendu.

Panel 1 – L’Afrique de l’Ouest : défis de sécurité et réponses aux violences politiques

Après des décennies troubles marquées notamment par la guerre civile au Libéria (de 1989 à 1997), en Sierra Leone (de 1991 à 2005), par les troubles au Togo ou encore en Guinée, Mamoudou Gazibo, professeur au département de science politique de l’Université de Montréal, souligne que la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest se caractérise par une accalmie certaine. Celle-ci résulte d’une stabilité des grands États de la région et d’une meilleure intégration politique des États dans les instances internationales telles que l’Union Africaine.

Il n’en demeure pas moins que cette accalmie demeure fragile. En effet, le phénomène de radicalisation grandissant dans plusieurs régions du monde n’épargne pas l’Afrique de l’Ouest. Quelques groupes radicaux jouissent du vide politique dans certains  territoires pour prendre de l’expansion et asseoir leur influence sur le continent africain. Ce phénomène contribue à l’émergence d’une intolérance et d’une haine qui vont au-delà des individus liés à ces groupes radicaux et pénètrent les sociétés africaines.

L’Afrique de l’Ouest doit également composer avec une gouvernance économique efficace et incapable de faire face aux défis liés à l’évolution démographique des pays de la région. Les groupes extrémistes n’hésitent d’ailleurs pas à exploiter les problèmes sociaux qui en découlent pour leur recrutement.

Enfin, l’absence de consensus sur les règles du jeu politique, notamment sur les questions électorales, fait en sorte que le potentiel de crise est toujours présent. Cette impression d’impuissance du politique est amplifiée par le fait que les décideurs des États de la région se confortent dans une situation de dépendance en abandonnant la gestion des enjeux économiques, politiques, sécuritaires majeurs de la région à des pays ou institutions étrangères. Par conséquent, les mécanismes actuels de résolution des conflits apparaissent inadaptés : trop nombreux, ils sont nettement inefficaces, conclut le professeur Gazibo.

La composante religieuse s’impose dans le paysage de la sécurité internationale marqué par les actions de groupes armés transfrontaliers dont les revendications découlent d’interprétations radicales de la religion, principalement de l’Islam, soutient Marie Brossier, professeure adjointe au département de science politique de l’Université Laval. Les États sont alors forcés d’inclure cette composante dans leur analyse. Toutefois, ils se questionnent davantage sur son expansion et ses effets plutôt que sur ses différentes formes. Mme Brossier préconise donc de considérer le religieux comme un fait sociologique et politique, et non comme une idéologie.

Le cas du Sénégal, dont la population est majoritairement musulmane, représente un bon exemple de société dans laquelle le religieux influence l’organisation sociale et politique. L’Islam se pratique traditionnellement au Sénégal par l’entremise de confréries qui en contrôlent la pratique. Or, dans les années 1950 et 1960, des mouvements réformistes ont fait leur apparition dans le pays. Importés par des pratiquants ayant séjourné dans les écoles religieuses du Moyen-Orient, notamment en Égypte, ces mouvements entrèrent en conflit avec le discours plus  modéré des confréries. Fragilisées par des luttes de pouvoir internes, celles-ci ont été incapables de contrer  l’implantation du discours plus radical des mouvements réformistes.

Cette évolution se traduisit par un changement dans les craintes de la population. Alors  qu’au début des années 2000 elle s’inquiétait d’être stigmatisée et marginalisée à l’échelle internationale, elle est dorénavant beaucoup plus préoccupée par la radicalisation de ses membres au niveau sous régional.

Mme Brossier souligne par ailleurs que les raisons qui incitent un groupe religieux à s’engager dans un combat politique varient en fonction de sa perception de la place du religieux dans l’appareil politique. Ainsi, les groupes puristes vont se concentrer uniquement sur la pratique religieuse alors que les groupes dits activistes vont faire la promotion du religieux par les moyens politiques. Les groupes qualifiés de djihadistes se distinguent en n’accordant aucune reconnaissance à l’État et manoeuvrent pour imposer leurs croyances et leur lecture stricte de la religion par la force.

Les groupes armés mus par des idéologies radicales et des revendications transfrontalières constituent indéniablement pour la communauté internationale un enjeu de sécurité majeur. Or, jusqu’où cette communauté, et notamment l’ONU qui en est l’expression, doit-elle aller dans la lutte contre le radicalisme, s’interroge Jérôme Mellon, fonctionnaire international au sein du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) des Nations Unies ? Ne devrait-elle pas reconnaître les lacunes de la lutte contre le terrorisme?

Le Secrétaire général de l’ONU reconnaît la priorité absolue des mesures préventives pour contrer le phénomène de radicalisation. Cette approche préventive apparaît d’autant plus pertinente et nécessaire dans une région comme l’Afrique de l’Ouest où les problèmes sociaux, la faiblesse des institutions gouvernementales et la porosité des frontières contribuent à une instabilité régionale dont les groupes extrémistes tirent profit.

La lutte contre ces groupes ne doit donc pas se limiter aux composantes conventionnelles et classiques de la guerre contre le terrorisme. Elle doit se concentrer sur la résolution de ces problèmes structurels favorisant la radicalisation. Cette lutte doit ainsi prendre trois formes. Premièrement, elle doit être un plaidoyer politique conçu comme un contre-discours à l’idéologie radicale des groupes extrémistes. Deuxièmement, elle doit mettre l’accent sur une meilleure coordination et cohérence des différentes ressources à la disposition de la communauté internationale. Troisièmement, si les mécanismes conventionnels de lutte contre le terrorisme ne peuvent pas être totalement ignorés, ils doivent néanmoins faire l’objet de changements significatifs, parmi lesquels un renforcement des capacités des Nations Unies.

Dans cette perspective, la mise en place d’une cellule de renseignement et l’utilisation de nouvelles technologies comme les drones dans le cadre de la MINUSMA (la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali) sont prometteuses.

Le Canada jouit d’une réputation internationale enviable qui s’est construite dans le cas de l’Afrique de l’Ouest sur la base de l’aide au développement rappelle Louise Ouimet, présidente du Groupe de Réflexion sur l’Afrique. Alors que le contexte économique du continent africain a évolué, les intérêts canadiens se sont progressivement concentrés dans un nombre plus restreint de pays.

Mais qu’en bien même l’essentiel de la relation entre le Canada et l’Afrique de l’Ouest est de nature économique, Mme Ouimet soutient que le Canada doit réévaluer son implication et développer une coopération avec les pays de la région pour poursuivre son agenda politique, notamment pour faire face aux nouveaux enjeux de sécurité.

Les défis sécuritaires en Afrique de l’Ouest posés par la radicalisation s’enracinent dans des problèmes sociaux, économiques et politiques, ainsi que dans la fragilité des institutions gouvernementales. Les pays investisseurs, dont le Canada, ont contribué au développement de cette situation précaire par la manière dont les programmes de développement international et d’actions humanitaires ont été implantés. Par exemple, l’implication des États recevant l’aide au développement fut trop réduite et celle-ci fut le plus souvent planifiée en fonction d’intérêts à court terme. Il en résulta une dégradation des relations entre l’État et les citoyens en raison de la place prédominante des programmes étrangers dans les administrations publiques locales.

Afin de corriger cette situation, une approche axée sur le long terme entretenue par du personnel diplomatique en poste plus longtemps est requise afin de bâtir des relations de confiance avec les différents intervenants locaux et développer une meilleure compréhension des enjeux régionaux. De même, une relation de partenariat avec les différents paliers gouvernementaux est à privilégier afin de maximiser les ressources locales et de restaurer la relation entre l’État et les citoyens.

Panel 2 – L’intervention internationale : quelles coalitions, quelles approches ?

La politique étrangère des États-Unis doit faire face à de multiples menaces (crise en Ukraine, lutte contre l’État islamique, guerre civile en Syrie, crise des réfugiés en Europe) auxquelles l’administration Obama n’a pas apporté de réponse convaincante, estime Kenneth Weinstein, président et CEO du Hudson Institute. Surtout, ce contexte international troublé teinte les débats de la campagne présidentielle en cours.

M. Weinstein souligne qu’aussi étonnant que cela puisse paraître, les positions de la candidate démocrate Hillary Clinton apparaissent plus proches de l’interventionnisme musclé de George W. Bush. Les préférences du candidat républicain Donald Trump se rapprochent davantage, certes en les caricaturant, de celles du président Obama, plus  «sceptique» à employer la puissance américaine pour régler les crises internationales.

Quelque soit le candidat élu à la Maison-Blanche le 8 novembre prochain, il apparaît toutefois peu probable que les États-Unis s’engagent dans des interventions armées d’importance dans les années à venir. Ces opérations auraient été plus envisageables si Marco Rubio ou Jeb Bush avait été choisi comme candidat à la présidentielle du côté républicain. Une présidente Clinton devrait quant à elle se limiter à des interventions ponctuelles et ciblées.

Surtout, M. Weinstein juge qu’en matière d’intervention internationale, la crédibilité des États-Unis a été durablement écorchée par le refus du président d’Obama de recourir à la force contre le régime de Bachar Al-Assad après que celui-ci ait franchi la « ligne rouge » de l’emploi d’armes chimiques contre sa propre population en Syrie. Avec la présidence Obama, les États-Unis semblent en fait avoir durablement opté pour un interventionnisme en retrait, le leadership from behind, laissant une plus grande latitude et marge de manœuvre tant aux alliés qu’aux rivaux désireux de s’impliquer dans la gestion des problèmes de sécurité internationale et des enjeux stratégiques.

Dans le cas de la France, il n’y a pas de doctrine encadrant les interventions internationales, soutient Jean-Jacques Roche, directeur de la formation, des études et de la recherche de l’IHEDN. Qui plus est, dans un contexte français marqué par les contraintes budgétaires et par la montée du populisme, quatre difficultés entravent la capacité d’action de la France. La première est matérielle. L’armée de terre française dispose ainsi de peu de personnels et d’ici 2019, elle comptera même 8 000 hommes en moins. L’armée de l’air ne peut compter que sur 200 aéronefs environ, dont 40 furent largement utilisés dans le cadre de l’opération Serval au Mali. Dans un contexte de contrainte budgétaire, il apparaît improbable, ou à tout le moins très difficile, de corriger un tel déficit de capacités matérielles.

La deuxième difficulté est politique. La diplomatie française est l’otage des émotions du moment, affirme M. Roche. Dotés d’une analyse insuffisante, prisonniers des tensions bureaucratiques et idéologiques entre ministère de la  défense et ministère des Affaires étrangères, les décideurs politiques sont alors prisonniers de ces émotions, des intellectuels et des médias qui les véhiculent.

La troisième difficulté concerne les relations parfois difficiles avec certains alliés de la France, notamment au sein de l’OTAN. Au-delà de perspectives et d’intérêts qui peuvent être divergents, il apparaît que le langage ne soit pas toujours partagé avec les alliés. Par exemple, si la France parle de sécurisation, les alliés utilisent davantage consolidation.

La quatrième et dernière difficulté est institutionnelle. Il ne semble pas y avoir de consensus au sein du gouvernement français sur la question de l’intervention armée. Le président, le ministre de la Défense et leurs entourages y sont plutôt favorables et en appellent au culte de l’unité nationale pour la faire accepter. Du côté du ministère des Affaires étrangères, les diplomates affirment qu’il n’est pas nécessaire d’employer la force, car elle mène le plus souvent à l’échec et à la non réalisation de ses objectifs stratégiques et politiques.

Les coalitions naissent de la convergence des intérêts entre protagonistes et sont le plus souvent à géométrie variable rappelle, Yves Brodeur, ancien ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès du Conseil de l’Atlantique Nord. La difficulté est donc d’en assurer la viabilité. Pour ce faire, il est essentiel que les décideurs politiques des États membres d’une coalition s’entendent clairement sur les finalités de celle-ci. Or, ce travail préalable et indispensable de définition des objectifs n’est pas toujours effectué. Un exemple actuel flagrant est celui de la lutte contre le groupe État islamique. Si la coalition menée par les États-Unis s’entend pour combattre et détruire l’organisation terroriste, Yves Brodeur souligne qu’elle ne semble pas avoir de vision commune sur l’après-victoire militaire.

Avant de lancer une opération militaire, il faut répondre à des questions en apparence simples, mais fondamentales : où, quand, pourquoi, avec qui, avec quoi ? Dans le contexte actuel de multiplication des guerres hybrides, répondre à ces questions, et même déterminer contre quel ennemi nous sommes en guerre, est de plus en plus délicat, affirme le brigadier-général (ret.) Richard Giguère.

Dans cet environnement, quel est alors le rôle d’une alliance traditionnelle comme l’OTAN? Quel est le rôle du Canada? Comme bien des organisations, la première apparaît victime de ses succès passés et est confrontée au redoutable défi de son adaptation aux nouvelles menaces et aux nouveaux conflits. Si sa disparition semble impossible, sa nécessaire transformation apparaît mise de côté.

La contribution du Canada en Afghanistan aux côtés des partenaires de l’OTAN a donné un poids enviable au pays au sein de cette organisation, estime M. Giguère. Il convient toutefois de garder une attention particulière au maintien d’un comportement exemplaire des soldats, qu’ils soient canadiens, des forces de l’OTAN ou des Casques Bleus de l’ONU. Dans chaque cas, de mauvais agissements des troupes ont entaché la réputation de ces institutions et ont nui à leur capacité d’action.

Panel 3 – Les changements climatiques : quels impacts sur la sécurité internationale ?

L’interaction entre les conséquences des changements climatiques et les changements ayant lieu au sein d’autres systèmes, notamment géopolitique, géoéconomique et géophysique crée des enjeux sécuritaires imprévus, expose Cléo Paskal, associate fellow, Energy, environment and resources au sein de la Chatham House. Le meilleur exemple en est l’achat de brise-glaces par la Chine pour permettre l’ouverture de voies commerciales dans l’Arctique. D’une part, les changements climatiques rendent désormais possible l’ouverture de telles voies commerciales. D’autre part, sans sa croissance économique, la Chine n’aurait jamais eu l’incitatif d’ouvrir ces routes, ni les moyens d’acheter ces brise-glaces. Ces changements d’ordre environnemental et économique mènent donc à un troisième ordre géopolitique : la présence d’un nouvel acteur dans la région de l’Arctique.

Le droit international qui avait été élaboré suivant une certaine réalité peine à s’adapter aux nouveaux contextes. Par exemple, le droit international de la mer risque de se trouver en décalage avec la montée des eaux et donc le changement de position de la ligne de base pour le calcul des zones maritimes, qui aident à déterminer les frontières. Cette nouvelle variable est d’autant plus problématique dans le cas des îles puisque le changement des zones maritimes peut influencer leur rattachement à certains pays.

Cette nouvelle réalité a une importance particulière en mer de Chine où existe le concept d’ « Island Chain Defense » central pour les stratégies navales chinoise et américaine dans cette région. Le concept de chaîne d’îles a été inventé par les Américains lors de la Guerre froide, dans les années 1950, et visait à encercler l’URSS et la Chine sur le front maritime. De nos jours, il a une importance primordiale dans la stratégie géopolitique et navale de la Chine, ces lignes servant à éviter un encerclement américain. Elles représentent un intérêt pour la Chine autant du point de vue stratégique pour ses bases militaires, que portuaire pour le commerce, qu’économique pour l’accès aux ressources pétrolières. Ces îles en mer de Chine représentent par conséquent un enjeu autant du point de vue des changements climatiques que de la géopolitique et de l’économie dans une zone qui prend de plus en plus d’importance sur l’échiquier mondial.

Le concept de sécurité climatique est assez récent (fin des années 1990, début des années 2000), tout comme les travaux et les sujets de recherche qui y sont associés, rappelle Bastien Alex, chercheur à l’IRIS. Le terme, dans sa définition actuelle, englobe toute atteinte à la sécurité internationale que pourraient porter les changements climatiques. Un rapport commandé par le ministère de la Défense américain publié en 2003 a été le premier à exposer les possibles risques de conflits pouvant émerger en Europe en raison des conséquences des changements climatiques. En 2007, un rapport du Sénat américain abordait pour la première fois la notion de changement climatique comme un multiplicateur de menace qui vient se greffer sur les situations conflictuelles et qui joue parfois le rôle de facteur déclencheur.

Les hypothèses en lien avec le concept de changements climatiques touchent entre autres aux questions de déplacement des populations et des migrations climatiques. Certaines de ces migrations sont expliquées par l’occurrence d’événements climatiques extrêmes comme au Bangladesh, aux Philippines ou encore aux États-Unis avec l’ouragan Katrina. D’autres résultent de la dégradation progressive de l’environnement, telles que la variabilité des précipitations, le phénomène de désertification, qui poussent les populations vers l’exode comme au Niger ou encore en Syrie.

Les changements climatiques impliquent également un enjeu d’accès aux ressources naturelles, que ce soit pour celles qui sont nouvellement disponibles ou pour la raréfaction de certaines autres. Par exemple, la nouvelle accessibilité à la région arctique risque de créer des tensions entre les pays limitrophes de l’océan Arctique en raison de la présence d’hydrocarbures. L’accès à l’eau sera par ailleurs un enjeu dans certaines régions jusqu’à créer un stress hydrique pour certaines populations (Égypte et Chine).

Les conséquences des changements climatiques impliquent des mesures ou des politiques d’adaptation. Certains États pourraient notamment élaborer des stratégies  d’accaparement des terres plus agressives dans d’autres pays afin d’assurer l’approvisionnement alimentaire de leur population. D’autres mesures d’adaptation mettent de l’avant des solutions de géoingénierie, lesquelles constituent des réponses techniques ou technologiques visant à capturer les émissions de gaz à effet de serre. L’Inde pourrait, par exemple, instaurer des mécanismes de géo-ingénierie pour continuer à produire son électricité à partir de centrales au charbon tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre. Cependant, de telles solutions n’incitent pas à traiter les causes des changements climatiques ou à changer le monde de production.

S’il existe toujours une incertitude scientifique sur l’évolution et sur la prévision des changements climatiques, il y a une certitude croissante sur le lien entre sécurité et changements climatiques. Il convient donc de décloisonner l’enjeu des changements climatiques et de l’intégrer pleinement à nos réflexions sur les enjeux de sécurité, conclut M. Alex.

Les changements environnementaux causent des  mouvements migratoires chez certaines populations de pays africains et asiatiques, tels que la Turquie, le Vietnam et le Bangladesh, observe Caroline Zickgraf, chercheure au Centre d’études de l’Ethnicité et des Migrations de l’Université de Liège. Selon le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, les changements climatiques sont devenus le principal vecteur des migrations forcées. Au fur et à mesure que les ressources naturelles terrestres et maritimes s’amenuisent, des familles entières sont obligées de quitter leur région. Ces derniers ne sont toutefois pas considérés comme réfugiés climatiques puisqu’aucun statut juridique n’existe actuellement. C’est notamment le cas des pêcheurs sénégalais, lesquels sont considérés comme des migrants économiques par les groupes humanitaires et les gouvernements. Pour cette raison il est difficile d’estimer le nombre de migrants climatiques.

Suivant une estimation basée sur des suppositions et le sens commun plus que sur des statistiques ou modèle migratoire précis, 200 millions de personnes migreront en raison des changements climatiques d’ici 2050. Il est néanmoins difficile de parler de l’impact des changements climatiques sur la sécurité lorsqu’il n’existe pas de certitude sur le nombre de personnes migrantes en raison de ces derniers. Par contre, il existe une certitude relative au fait que les changements climatiques vont augmenter la fréquence et l’intensité de nombreux événements climatiques créant ainsi des conditions pour les mouvements migratoires. La simple montée des eaux en est un exemple puisqu’elle pose la question de la relocalisation des populations habitant dans les zones côtières ou insulaires. Cependant, le plus gros des mouvements migratoires demeurera interne, relevant ainsi d’un déplacement de population au sein d’un État.

Les changements climatiques épuisent également les ressources qui permettent aux personnes de migrer. Par exemple, les périodes de sécheresse en Afrique impliquent que certaines familles sont moins à même de se déplacer parce que tous leurs moyens servent à combler leurs besoins les plus essentiels : eau, nourriture, abri. Les changements climatiques sont donc problématiques du point de vue de la migration et du déplacement des populations, mais ils constituent également un enjeu sécuritaire pour les populations piégées (trapped population) qui sont habituellement les plus vulnérables et qui ne peuvent quitter les zones affectées par les changements climatiques. La situation de ces populations est pourtant peu étudiée puisque pour plusieurs chercheurs l’absence de migration équivaut à l’absence de conflit.

De fait, les migrations liées aux changements climatiques sont généralement étiquetées comme un vice pour la sécurité internationale. Elles sont une source d’instabilité dans des pays déjà vulnérables. Certains chercheurs ont en effet fait le lien entre l’ascension de Boko Haram au Nigeria et les migrations environnementales ayant cours dans des pays voisins tel que le Niger. Le déplacement de population implique aussi le risque que certaines personnes ne puissent subvenir à leurs besoins essentiels rendues à destination, générant des tensions avec les populations locales. Au Nord du Bénin, les communautés locales se disputent les pâturages en raison du mouvement des populations pastorales provenant du Mali et des pays limitrophes. Certains chercheurs et organisations ont également établi des liens entre les cinq années de sécheresse en Syrie, les mouvements de population des zones rurales vers les villes, le conflit actuel en Syrie et la crise actuelle des réfugiés.

Il faut en outre noter que les migrations climatiques ne peuvent être traitées indépendamment des factures politiques, économiques, sociales, environnementales. Ainsi, les nouveaux pays en développement sont le théâtre d’une croissance économique exponentielle qui accélère la raréfaction des ressources disponibles. Dans les régions côtières et désertiques de ces pays, les risques de conflits, de violence et de migration forcée vont par conséquent augmenter. Les migrations vers les zones urbaines telles que les mégapoles en Afrique de l’Ouest, près du lac Tchad, intensifient la concurrence pour les ressources. Au final, les conséquences des changements climatiques vont engendrer des déplacements des populations en masse dans des pays instables tels que le Pakistan, détruire des décennies de processus de paix en Afrique de l’Ouest, créer des diasporas venant des pays insulaires et agrandir les zones urbaines déjà fortement peuplées avec de nouveaux arrivants toujours plus pauvres provenant des zones rurales.

Les nouvelles menaces à la sécurité internationale nécessitent l’implication de tous les niveaux gouvernementaux, y compris les gouvernements infranationaux, avance Éric Théroux, sous-ministre adjoint au Ministère des relations internationales et de la Francophonie (MRIF). En 2006, lorsque le gouvernement du Québec a développé sa politique internationale, la sécurité se résumait essentiellement à protéger ses accès commerciaux aux États-Unis. Alors que le MRIF élabore la nouvelle politique internationale, le champ de la sécurité s’est élargi pour inclure la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la radicalisation, et la lutte contre les changements climatiques. Le Québec agit sur tous ces enjeux dans les forums multilatéraux, comme c’est le cas par exemple à l’OIF, à l’UNESCO, ou encore lors de la COP21 à Paris.

Les changements climatiques soulèvent des défis internationaux et intérieurs pour la province. En matière de défis internes, ils impliquent des problèmes de déplacement de populations, d’occupation du territoire, d’érosion des berges, de fonte du pergélisol dans le Nord, et d’adaptation des infrastructures. Au niveau international, le Québec a décidé d’être un acteur crédible et responsable et de devenir un leader dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques.

Le Québec s’est tout d’abord doté d’une cible de réduction de gaz à effet de serre ambitieuse : 20% d’ici 2020 et 37,5% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990. Pour atteindre cet objectif, il a instauré un marché du carbone avec la Californie, auquel se joindront dans un avenir proche l’Ontario, le Manitoba et possiblement l’État de New York. Le Québec copréside également l’Alliance des États fédérés et des régions du Climate Group qui vise à catalyser les efforts de plus d’une trentaine de régions et d’entités fédérées en matière de changements climatiques. Le Québec fait par ailleurs partie de différents réseaux tel que le réseau des gouvernements régionaux pour le développement durable, Energy Forest D, R20, le Carbon Disclosure Project.

Cependant, ces engagements politiques doivent être suivis d’actions concrètes, ce à quoi œuvre activement le Québec. À ce propos, il était important pour le Québec que l’accord de Paris reconnaisse juridiquement, d’une part, l’apport et le rôle des gouvernements infranationaux dans la lutte contre les changements climatiques et, d’autre part,  l’importance des mécanismes de marchés dans cette lutte. Le Québec souhaite donc la ratification de cet accord par le Canada dans les meilleurs délais. Être reconnu implique aussi des obligations, ou à tout le moins de manifestations concrètes. Le Québec a donc contribué sur le plan de la coopération climatique. Lors de la Conférence de Paris, le Premier ministre a annoncé l’adoption de trois mesures de coopération climatique représentant un engagement de 25 millions de dollars sur 5 ans en faveur des pays  francophones les plus vulnérables (le renforcement des capacités et les transferts technologiques, une contribution au Global Environmental Facility, et des mesures de soutien aux négociations climatiques en français telles que la traduction du bulletin de la terre en français et une collaboration avec l’Institut de la Francophonie pour le développement durable).

La lutte contre les changements climatiques motive ensuite l’engagement du Québec à l’égard des enjeux nordiques et arctiques. Le Nord québécois a connu depuis 1950 des températures ayant augmenté de 2-3 degrés, mais les prévisions envisagent une augmentation moyenne de 2,8 à 5,8 degrés d’ici 2050 et d’ici 2080 de 5,3 à 9,6 degrés. Le Québec est particulièrement engagé dans le forum Arctic Circle. Le gouvernement québécois est le seul engagé dans l’organisation de ce forum.

L’accord de Paris conclut au terme de la COP21 en décembre 2015 a été un succès parce que le monde scientifique n’a jamais été aussi clair sur les conséquences des changements climatiques, avance Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat/Énergie à Greenpeace Canada. Le rapport du GIEC publié en 2014 expose, hors de tout doute, que l’activité humaine est responsable des changements climatiques. Le groupe a fait le lien entre le réchauffement de la température depuis 1950 et les conséquences actuelles sur le climat. Le rapport stipule en outre que la gravité des répercussions augmentera avec le temps.

Les impacts sont par ailleurs déjà présents : réchauffement des océans, augmentation du niveau des mers, fonte des glaciers… D’autres répercussions potentielles sont par contre difficilement quantifiables et ne font l’objet que de prévisions. C’est notamment le cas des impacts sur l’alimentation, l’accès à l’eau, les migrations de population, l’augmentation de la pauvreté, les événements climatiques extrêmes, la diminution du PIB. Ces impacts sont loin d’être aussi clairs que la science du climat. Le débat actuel ne porte donc plus sur l’existence ou non des changements climatiques, mais sur la véracité de ces prévisions.

Patrick Bonin souligne par ailleurs que les rapports du GIEC sont relativement conservateurs principalement parce qu’ils doivent être entérinés par l’ensemble des États membres de l’ONU. D’autres études ont été publiées depuis 2014, dont certaines présentant des prévisions beaucoup plus alarmistes. Alors que le GIEC estime qu’actuellement 400 000 décès sont liés aux changements climatiques, d’autres rapports parlent de décès potentiels allant jusqu’à un demi-milliard en 2050. Les enjeux les plus préoccupants sont l’alimentation et l’accès à l’eau potable. Les efforts récents au niveau international pour la lutte contre la faim et pour l’accès à l’eau potable pourraient ainsi être éliminés par l’accélération des changements climatiques. Ces derniers ont en effet un impact direct sur la productivité des cultures. L’acidification des océans, quant à elle, a un impact sur les stocks de poissons. La disparition des glaciers représente un problème majeur d’accès à l’eau potable pour certaines communautés. D’ici 2100, un milliard  supplémentaire d’êtres humains pourraient faire face à un stress pour l’accès à l’eau.

Panel 4 – Faire face aux enjeux de sécurité internationale : la perspective des praticiens gouvernementaux

La situation sécuritaire en Europe comporte des menaces immédiates entrelacées à des menaces plus diffuses, souligne l’Honorable Lawrence Cannon, ambassadeur du Canada en France. Ces menaces peuvent être catégorisées comme extérieures (crises aux marges de l’Europe, activisme de la Russie) et internes (crise de gouvernance européenne, montée des populismes).

Les crises aux marges de l’Europe incluent les conflits en Syrie, en Libye, et ceux en Afrique sub-saharienne. Ces conflits entraînent la crise des réfugiés, qui elle-même vient alimenter les divisions européennes. Alors que l’Europe peine à sortir de la crise économique de 2007- 2008 et à retrouver le chemin de la croissance, la crise des réfugiés concourt à la montée des mouvements populistes nationalistes dans les pays européens.

Les partenaires européens sont par ailleurs divisés sur le niveau de vulnérabilité face à la Russie, ce qui affecte notamment les propositions de réponse européenne face à l’agression russe en Ukraine. Par exemple, l’Allemagne dépend de façon notable de la Russie pour son  approvisionnement énergétique, ce qui l’incite à favoriser la conciliation. Au-delà de l’Ukraine, l’influence de la Russie dans les affaires européennes se fait aussi par le  financement de partis et mouvements populistes, comme le Front national en France.

À l’interne, l’Europe souffre d’une crise de gouvernance. Il existe différents paliers gouvernementaux qui ne sont pas tous élus et qui cherchent tous à assurer leur autonomie. Cela crée des tensions qui vont jusqu’à menacer des actions européennes concertées, notamment sur la situation économique qui, bien qu’elle se soit beaucoup améliorée, reste fragile. Un des effets politiques de cette crise de gouvernance est la montée de mouvements anti-Europe, tels que le Brexit en Grande-Bretagne.

Le Québec, même en tant que province, a la capacité d’être un acteur international crédible dans les domaines relevant de ses compétences. Certains de ces domaines ont un effet sur la sécurité. En effet, plusieurs facteurs sécuritaires ne sont pas militaires, mais criminels et culturels, avance Jean-Stéphane Bernard, sous-ministre au Ministère des relations internationales et de la Francophonie.

Les actions entreprises par le Québec peuvent l’être en son nom, ou encore en soutien aux actions du Canada. Un exemple est l’envoi de policiers de la Sureté du Québec dans le contingent canadien en Haïti dans le cadre de la MINUSTAH.

Un des dossiers préoccupe fortement le gouvernement québécois : la radicalisation. Le Québec agit depuis 20 ans dans le domaine du soutien aux pays en voie de développement dans le but de contribuer à leur stabilité, d’augmenter la sécurité et ainsi de réduire le nombre de foyers potentiels de radicalisation.

Le monde est plus dangereux aujourd’hui, car les enjeux sont plus complexes et intégrés, et comptent plus d’acteurs, observe Pierre Pettigrew, ancien ministre des Affaires étrangères du Canada et conseiller de direction aux affaires internationales chez Deloitte.

Une composante fondamentale qui explique la complexité du monde actuel, tout autant que l’intégration des enjeux, est la mondialisation. Grâce à celle-ci, la planète a connu un essor économique très important. Cet essor s’est traduit par l’accroissement de la classe moyenne. Celle-ci profite cependant de la mondialisation tant qu’elle n’est pas débridée. Or, la mondialisation peut aussi augmenter les inégalités sociales. Et il y a une corrélation directe entre inégalités sociales et conflits. Donc, si les inégalités augmentent, les conflits aussi vont augmenter. Deux exemples actuels de cette causalité se trouvent à être la Russie et la Chine. Ceux-ci connaissent de grandes  inégalités. Mais tant qu’il y a  croissance économique, tout le monde peut espérer voir son sort s’améliorer. Ces deux pays voient leur croissance économique ralentir, ce qui risque d’augmenter les conflits politiques internes. Un vieux moyen pour calmer la population est d’agiter le drapeau national, ce qui peut augmenter les frictions sur la scène internationale.

Notre monde multipolaire est lié à la mondialisation, qui elle-même favorise la classe moyenne, véritable moteur de développement économique. Mais une mondialisation sans règle peut augmenter les inégalités, entraînant des conflits. Marc Lortie, ancien ambassadeur du Canada en France, en Espagne et au Chili, constate une montée notable de l’intolérance dans les pays occidentaux. Cette intolérance apparaît comme une réaction à la radicalisation au Moyen-Orient et au risque du terrorisme. Dans cette perspective, il conviendra de surveiller attentivement les évènements à venir en 2016 et en 2017, notamment les élections aux États-Unis, en France, et en Allemagne. Dans chacun des ces pays, les partis nationalistes et d’extrême-droite connaissent une progression marquée.

Les attentats en Europe illustrent en outre le défi de l’intégration et le manque de politique d’immigration des sociétés européennes, ce qui est d’autant plus ironique que l’Europe possède une longue histoire d’immigration. Le problème de la radicalisation au Moyen-Orient continuera enfin à alimenter les mouvements migratoires vers l’Europe. Et quand la situation se stabilisera en Libye, les djihadistes qui y combattent fuiront vers les pays africains au sud, dont plusieurs sont francophones. Marc Lortie en conclut que le Canada devrait, dans cette perspective, coopérer davantage avec la France et les pays de la Francophonie afin d’assurer une sécurité à long terme.

Même si le Conseil de sécurité de l’ONU est imparfait, il est préférable de travailler avec lui, estime Michel Duval, ancien représentant permanent adjoint du Canada à l’ONU. C’est ce que le Canada a fait avec intelligence jusqu’en 2005, avant d’en devenir un critique virulent. Tout le défi maintenant pour Ottawa est de regagner la crédibilité et le prestige perdus à l’ONU afin d’accéder de nouveau au Conseil de sécurité.

Michel Duval conclut en rappelant que le rôle de la  diplomatie est primordial, surtout à une époque où il y a une confusion entre interventions militaires et protection des peuples. La dérive interventionniste de l’ONU est devenue une norme depuis le Kosovo. De son côté, l’OTAN a multiplié les missions plus ou moins heureuses hors de sa zone, oubliant que sa vocation première est la protection de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Les missions de paix de l’ONU, au même titre que celles de l’OTAN, ont un besoin urgent de réformes, d’actualisation. Il y a cependant une chose positive, qui ne fait que renforcer l’importance de la diplomatie : de plus en plus de belligérants reviennent vers l’ONU afin d’assurer la bonne marche des négociations de paix.

— Julien Toureille
Coordonateur, Forum Saint-Laurent sur la sécurité internationale

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