Une Cour pénale spéciale face aux violences et crimes répétés en Centrafrique

Antoni Robert

Plus de 620 crimes ont été commis par toutes les parties lors des conflits armés en République centrafricaine (RCA), entre 2003 et 2015, dont des tueries et violences sexuelles, tortures, pillages, enlèvements et enrôlement d’enfants-soldat, selon un rapport accablant de l’ONU.

Depuis l’accession à son indépendance en 1960, la RCA n’a pratiquement connu que des gouvernements militaires ayant pris le pouvoir par la force des armes. L’ONU affirme d’ailleurs que « les changements de régimes fréquents et violents ont contribué à l’institutionnalisation de la corruption et du népotisme, aux violations et abus des droits de l’homme, y compris les atteintes à la liberté d’expression relative aux idées et opinions politiques ».

Cette dynamique s’est aussi poursuivie plus récemment, dès 2003, à la suite du renversement du président Ange-Félix Patassé par François Bozizé. Le pouvoir de ce dernier a ensuite été contesté jusqu’en 2008, au moment de l’établissement d’un processus de paix qui a rapidement échoué. Puis, Bozizé a lui aussi été renversé en 2013, à la suite de la prise du pouvoir de la Séléka, une alliance de groupes rebelles à majorité musulmane. En réponse, les anti-Balakas, des « groupes d’autodéfense » à majorité chrétienne, se sont formés dans le but de combattre la Séléka. Dès ce moment, le pays a replongé dans une spirale de violence, selon des lignes sectaires autrefois inconnues en RCA, et ce sont les civils qui en paient le prix.

Depuis, la RCA a connu plusieurs interventions étrangères, dont celle de la France entre 2013 et 2016 et l’actuelle Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA). D’un autre côté, l’Ouganda a récemment annoncé le retrait de ses troupes, au moment même où Washington a affirmé que sa mission en RCA – à l’encontre de la Lord’s Resistance Army de Joseph Kony – sera réorientée vers l’entraînement de soldats locaux.

Au cours des dernières années, l’État centrafricain et son appareil sécuritaire se sont montrés grandement affaiblis et défaillants, ce qui a créé une sorte de vide sécuritaire à travers le pays. D’ailleurs, pour l’année 2017, le Fragile State Index du Fund for Peace place la RCA au troisième rang des États les plus fragiles dans le monde, selon une agrégation de 12 indicateurs. Notamment grâce à ce phénomène, plusieurs groupes armés ont pu élargir leur zone d’influence, principalement pour faciliter le contrôle des ressources naturelles et de certains axes commerciaux.

Le rapport onusien, qui résulte d’une enquête menée entre le 11 mai 2016 et le 31 mars 2017, relève que, peu importe la période, aucun groupe armé n’a eu le monopole de la violence. Ainsi, entre 2003 et 2015, toutes les forces armées en présence – aussi bien les forces armées régulières que les innombrables groupes armés – se sont rendues coupables de ce qui pourrait relever de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. De plus, des forces armées étrangères, dont des mercenaires tchadiens et des soldats français, sont aussi visées par certaines accusations de viols.

Ce rapport devrait entre autres servir à établir les bases du travail de la Cour pénale spéciale (CPS), une juridiction mixte, incluant des magistrats locaux et internationaux, créée par une loi centrafricaine promulguée en 2015. Cette juridiction mixte de droit centrafricain est principalement chargée d’enquêter, de poursuivre et de juger à l’égard des violations graves des droits humains survenues lors des conflits en RCA. Elle vise donc à  » [­…] contribuer à la lutte contre l’impunité, la restauration de l’État de droit et de la cohésion sociale et soutenir le processus de réconciliation nationale en vue de construire une paix durable ».

La CPS enquêtera notamment sur les possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité et pourrait tenter de déterminer, comme le rapport onusien le souligne, si les massacres ciblés, perpétrés par la Séléka contre les non-musulmans et par les anti-Balakas contre les musulmans, ne constituent pas un début de génocide. En effet, la question d’établir (voir Article 6a)) « […] l’intention de détruire, en tout ou en partie, [un] groupe national, ethnique, racial ou religieux » pourrait être soulevée par la CPS.

Sans aucun doute, l’établissement de la CPS contribuera à promouvoir le relèvement et la consolidation de la paix. Néanmoins, plusieurs défis importants demeurent en RCA. D’ailleurs, le gouvernement du président Touadéra, élu en février 2016, a établi un plan qui s’articule autour de trois piliers prioritaires : i) restaurer la paix, la sécurité et la réconciliation ; ii) renouveler le contrat social entre l’État et la population; et iii) promouvoir le relèvement économique et la relance des secteurs productifs.

Le premier point est tout particulièrement problématique, puisque la faiblesse de l’État centrafricain, qualifié « d’État fantôme » par International Crisis Group, est telle que son autorité et sa présence ne dépassent guère les limites de la capitale Bangui. Par ailleurs, la situation sécuritaire s’est tellement dégradée au cours des derniers mois que quatre organisations humanitaires majeures, ciblées volontairement par certains groupes armés, ont pris la décision de suspendre temporairement leurs activités dans plusieurs régions jugées trop menaçantes. Ce retrait des organisations humanitaires souligne le fait que la situation sécuritaire est toujours très précaire à travers le pays, notamment en raison de l’absence de l’État et de ses forces sécuritaires et de l’impuissance et l’inefficacité de la mission de l’ONU. Les deuxième et troisième points du plan du nouveau gouvernement comporteront aussi plusieurs difficultés, principalement en raison de la corruption généralisée du pouvoir et de la pauvreté endémique.

Malgré tous les aspects positifs de la promulgation de la CPS, le retour à la paix en RCA semble difficile à atteindre et les Centrafricains continueront malheureusement de subir les conséquences des conflits armés. Des milliers de civils ont perdu la vie au courant des dernières années (plus de 3300, seulement entre décembre 2013 et octobre 2014), tandis que d’autres ont subi d’innombrables actes de violences sexuelles, de tortures, d’enlèvements et de pillages. Actuellement, 20% de la population centrafricaine est soit déplacée à l’interne, soit réfugiée dans les pays limitrophes. Sans contredit, les besoins sanitaires et humanitaires sont immenses, mais l’attribution de ce type d’assistance est de plus en plus difficile.

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