Antoni Robert
Depuis déjà quelques mois, une grave crise institutionnelle et sociale frappe de plein fouet le Venezuela, pays qui était encore récemment le plus riche du continent sud-américain. Ce fulgurant déclin est notamment en lien avec la chute d’un mouvement politique, sa mauvaise gouvernance et sa descente apparente vers la dictature, au détriment de la démocratie et du peuple vénézuélien.
En 1998, Hugo Chavez, militaire de formation, accède à la présidence du Venezuela. Lors d’un référendum en 1999, le nouveau président a réussi à faire approuver son projet de création d’une Assemblée constituante, qui a mené à la rédaction d’une nouvelle constitution basée sur des politiques socio-économiques socialistes. En quelques années, Chavez a fondé son système politique sur la redistribution des terres et des richesses, en nationalisant notamment les compagnies pétrolières, financières, agricoles et industrielles à travers le pays. Il a aussi fixé les prix, tout en dévaluant le taux de change avec le dollar américain.
Grand producteur de pétrole, le Venezuela est le pays qui possède les plus grandes réserves prouvées d’or noir, tout juste devant l’Arabie Saoudite. D’ailleurs, la production pétrolière vénézuélienne a atteint son apogée en 1998, avec plus de 3,5 millions de barils produits par jour. Toutefois, dans un premier temps, l’État n’a pas bien pris soin de ses facilités pétrolières et la société pétrolière d’État, PDVSA, n’a pas payé ses filiales. Par conséquent, ces compagnies ont commencé à produire moins de pétrole. Ensuite, lors de la grève générale de 2002-2003, Chavez a mis à la porte plus de 19 000 employés de PDVSA, pour les remplacer par des employés loyaux à son gouvernement. Ainsi, la société d’État a perdu énormément d’expérience, ce qui a inévitablement affecté sa productivité. Par conséquent, la production vénézuélienne de pétrole a fortement diminué dans les dernières années (voir graphique), en plus d’être accompagnée par la chute des cours du pétrole.
La rente pétrolière, qui représente jusqu’à 95% des revenus de l’État vénézuélien, a permis à Chavez de pratiquer ses politiques socio-économiques de redistribution des richesses, lesquelles ont pu aider un très grand nombre de citoyens. Par contre, en raison de la baisse phénoménale de la production et de la dégringolade du prix du brut, les revenus de l’État vénézuélien ont drastiquement diminué. En conséquence, avec beaucoup moins d’argent dans les coffres, le système de redistribution « chaviste » s’est effondré avant même que Nicolás Maduro, l’actuel président, ne prenne le pouvoir. En effet, puisque ce modèle « socialiste-extrativiste« , c’est-à-dire reposant sur les revenus tirés des matières premières, « […] est nécessairement victime des aléas des cours du pétrole, il ne peut être ni stable, ni pérenne ».
Les conséquences directes sont donc désastreuses. Selon les données les plus récentes de sa banque centrale, le Venezuela en serait à son dernier 10 milliards de dollars, tandis qu’il doit environ 7,2 milliards en dette courante. De plus, Maduro semble enclin à imprimer encore plus de billets de la devise nationale. En raison de tous ces facteurs, le bolivar vénézuélien a perdu plus de 99,8% de sa valeur dans les cinq dernières années, créant ainsi une situation d’hyperinflation. En 2016, on estime que l’inflation a atteint un niveau sans précédent de 800%, alors que le Fonds monétaire international prévoit qu’elle oscillera entre 1 134% et 1 640% en 2017. Conséquemment, non seulement le gouvernement vénézuélien pourrait ne plus avoir les moyens de payer pour sa propre monnaie, mais de surcroît, sa population n’a donc pratiquement plus de revenus, car son pouvoir d’achat est théoriquement annihilé. Par exemple, 1000$ d’épargne en 2013, lors de l’arrivée au pouvoir de Maduro, ne vaudraient plus que 5$ aujourd’hui. Sous un autre angle, un litre de lait, qui valait 1$ avant l’hyperinflation, vaudrait plus de 11$ à la fin de 2017.
Indubitablement, les effets de l’hyperinflation sont catastrophiques pour la très grande majorité de la population vénézuélienne. Selon une récente étude menée par trois universités, 82% des ménages vivent désormais sous le seuil de la pauvreté. Cette situation est aggravée par une pénurie des produits alimentaires et sanitaires, dans un pays où la majorité des denrées sont importées de l’étranger. D’ailleurs, les citoyens feraient la queue en moyenne 35 heures par semaine afin d’obtenir certaines denrées de base. Le trafic de nourriture, à travers des marchés noirs, est donc une activité nouvellement courante au Venezuela. En réalité, le trafic de nourriture est désormais l’une des plus importantes formes de commerce au pays, d’autant plus que l’armée est maintenant responsable de contrôler l’approvisionnement alimentaire. D’ailleurs, au lieu de combattre la potentielle famine, l’armée, corrompue, a créé son propre marché noir et en retire des revenus.
Outre la situation économique précaire, l’augmentation de la pauvreté et l’apparition de marchés noirs, le Venezuela est victime d’une hausse sans précédent d’actes violents et meurtriers. Selon la dernière étude de l’organisation Seguridad, Justicia y Paz, basée à Mexico, Caracas serait maintenant la ville la plus dangereuse au monde, avec un taux d’homicide atteignant 119,87/100 000 habitants. Sur cette illustration, il est possible de constater que trois des dix villes considérées comme étant les plus violentes sont vénézuéliennes. Les éléments décrits précédemment peuvent expliquer en partie l’augmentation soutenue de cette violence à travers le pays, sans toutefois la justifier en totalité. Effectivement, il est généralement reconnu que la pauvreté peut entraîner la violence, mais il est essentiel de relativiser comment et pourquoi les conditions de pauvreté mèneraient à plus de violence.
Récemment, la conjoncture violente s’est encore plus détériorée, lorsque le Tribunal suprême de justice vénézuélien a annoncé, le 29 mars, qu’il s’arrogeait les pouvoirs du Congrès, soit le dernier organe gouvernemental qui restait indépendant du contrôle du pouvoir exécutif, car il était dominé par l’opposition. Les réactions régionales et internationales ont été directes et virulentes. Le lendemain, le Secrétaire Général de l’Organisation des États américains, Luis Almagro, a dénoncé un coup d’État auto-infligé, tandis que le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a affirmé que la séparation des pouvoirs était essentielle au fonctionnement de la démocratie, et que celle-ci était primordiale afin d’assurer le respect des droits de la personne. Au même moment, la Procureure générale du Venezuela, Luisa Ortega Díaz, a déclaré que cette décision rompait l’ordre constitutionnel du pays.
Même si le tribunal a rapidement renversé sa décision, la consternation populaire s’était déjà répandue et les manifestations avaient pris de l’ampleur, tout comme la répression étatique et les affrontements violents entre les forces de l’ordre et les manifestants. Pire encore, au début du mois d’août 2017, le gouvernement de Maduro a procédé à un vote populaire pour la création d’une Assemblée constituante qui aura le mandat de réécrire la Constitution du pays. L’apparition de cette assemblée a exacerbé la crise institutionnelle et populaire et a attiré la consternation internationale. Mise à part Cuba, la Bolivie, le Nicaragua et la Russie, qui ont félicité le président pour ce résultat, d’autres gouvernements – tels que l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Péru, le Mexique, les États-Unis et le Canada – ont annoncé avant même le dévoilement des résultats qu’ils ne reconnaîtraient pas cette assemblée. Par ailleurs, plusieurs dénoncent une fraude électorale.
Dès lors, la dérive autoritaire se poursuit au Venezuela. Les affrontements violents découlant des manifestations auraient fait 124 morts jusqu’à maintenant, dont plus de la moitié qui seraient de la responsabilité des forces de l’ordre et des groupes armés pro-gouvernement, les colectivos. Les pertes civiles ne semblent pas démotiver les manifestants, encouragés par l’opposition, qui continuent à prendre les rues afin d’obtenir la démission de Maduro et de nouvelles élections. D’ailleurs, en plus de manipuler les institutions en sa faveur, le gouvernement s’en prend directement aux leaders de l’opposition. Par exemple, la figure emblématique antichaviste, Leopoldo Lopez, avait précédemment été relâché, avant d’être à nouveau emmener par les forces de l’ordre. Ce dernier avait préalablement passé trois ans derrière les barreaux. Selon l’ONG Foro Penal, le Venezuela compterait pas moins de 490 prisonniers politiques, information aussi véhiculée par Human Rights Watch. De plus, la Procureure générale dissidente Ortega Díaz, pourtant historiquement une chaviste affirmée, a été démise de ses fonctions moins de 24 heures après la création de la nouvelle Assemblée constituante.
La crise vénézuélienne est une situation qui évolue rapidement et qui attire de plus en plus l’attention internationale. Outre les quelques gouvernements étrangers qui soutiennent Maduro, la majorité des États et des organisations internationales condamnent ses actions. Dernièrement, les États-Unis ont infligé des sanctions économiques contre 13 anciens et actuels hauts fonctionnaires vénézuéliens, tout en menaçant d’imposer un embargo sur le pétrole – ce qui pourrait empirer la crise humanitaire et renforcer la position de Maduro face à « l’impérialisme américain ».
Si le président Maduro continue à s’accrocher au pouvoir, la crise risque de s’envenimer encore plus, tout comme la situation humanitaire, déjà alarmante. Dans l’éventualité où toutes les franges de la population vénézuélienne sortiront dans les rues afin de réclamer le départ de leur dirigeant, nul ne peut prévoir ce qui se passera. Maduro pourrait abandonner son poste, autant qu’il pourrait renforcer la répression et mener le pays vers une révolte civile totale. Peu importe la suite des événements, le Venezuela risque de s’engouffrer vers des conditions encore plus difficiles, ce qui laisse malheureusement présager de pénibles années à venir.
Crédits photo : FEDERICO PARRA/AFP/Getty Images
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