L’arsenal nucléaire mondial et la menace atomique

Antoni Robert

Au cours des derniers mois, la crise dans la péninsule coréenne, en lien avec les tests nucléaires nord-coréens, a accaparé l’attention des médias et des observateurs à travers le monde. Sans contredit, il s’agit de la plus importante menace nucléaire actuelle. Toutefois, des événements semblables doivent aussi nous rappeler que les armes nucléaires posent des risques dans d’autres situations houleuses et problématiques, qui sont généralement moins connues et parfois oubliées.

Actuellement, neuf États possèdent un arsenal nucléaire. Évidemment, les États-Unis ont été les premiers à tester ce type d’armement, en juillet 1945, et les seuls à l’utiliser dans le cadre d’un conflit armé, en larguant deux bombes sur le Japon en août 1945. L’Union soviétique a rapidement suivi, dans l’optique de la Guerre froide, avec la tenue de son premier test en 1949. À ce jour, on estime que les États-Unis posséderaient jusqu’à 6800 ogives nucléaires, tandis que la Russie en aurait 7000. Ces nombres faramineux découlent de la course aux armements nucléaires, enclenchée entre les deux superpuissances peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Robert McNamara, Secrétaire à la Défense sous le président Kennedy, avait d’ailleurs prononcé un discours qui avait donné naissance à la théorie de la « destruction mutuelle assurée » et à la philosophie de la dissuasion nucléaire ; si l’ennemi sait que le fait d’enclencher une guerre nucléaire engendrerait sa propre destruction, à quoi bon appuyer sur le bouton rouge? Selon ce courant de pensée, il valait donc mieux accumuler le plus d’armes nucléaires possible.

Le Royaume-Uni, qui a aussi participé au développement de la première arme nucléaire dans le cadre du Projet Manhattan, a mené son premier test nucléaire en 1952, suivi par la France (1960) et la Chine (1964). En 1962, la crise des missiles de Cuba, dans laquelle les deux superpuissances en sont pratiquement venues à un conflit nucléaire, a marqué le monde. Les dirigeants possédant un arsenal nucléaire ont donc commencé à croire que le temps était venu de chercher à prévenir l’expansion de ce type d’armement. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), signé en 1968 et entré en vigueur en 1970, visait principalement ce but. D’ailleurs, parmi les derniers États qui ont obtenu l’arme nucléaire, Israël, l’Inde et le Pakistan ont préféré ne pas se joindre au TNP, tandis que la Corée du Nord s’en est retirée en 2003, en affirmant que ses activités nucléaires n’étaient pas destinées à une utilisation militaire.

En ajout à ces neufs États, l’Irak avait initié un programme nucléaire secret avant la Guerre du Golfe de 1991, alors que la Libye et l’Iran ont procédé à des activités nucléaires secrètes qui violaient les termes du TNP, ce dont la Syrie a aussi longuement été suspectée. Le cas du programme nucléaire iranien est particulièrement bien documenté, puisqu’il a engendré un bras de fer diplomatique entre Téhéran et six puissances mondiales, menant finalement à l’établissement d’un accord sur le nucléaire iranien.

Par sa nature destructrice unique, la simple possession de l’arme nucléaire exacerbe de nombreuses situations problématiques et sensibles, lesquelles menacent la paix et la sécurité internationales. Indéniablement, les récents agissements de la Corée du Nord soulignent le fait que cette crise représente le plus grand danger nucléaire actuel. En effet, depuis les derniers mois, Pyongyang a effectué différents tests de missiles pouvant porter une ogive nucléaire, en plus d’avoir mené un sixième test nucléaire le 3 septembre dernier, soit son plus puissant à ce jour. Ces différentes manœuvres et provocations attisent les condamnations de la communauté internationale et inquiètent tout particulièrement la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis. Malgré l’ampleur de cette crise dans la péninsule coréenne, différentes relations tendues et conflictuelles impliquent d’autres puissances nucléaires, ce qui peut aussi laisser présager une potentielle utilisation de cet engin destructeur, advenant l’éclatement d’un conflit entre ces États en question.

Dans un premier temps, l’Inde et le Pakistan, qui ont simultanément obtenu leur indépendance du Royaume-Uni en 1947, entretiennent un conflit territorial au Cachemire et des tensions ethniques – enracinées dans leur passé – qui dictent leurs relations bilatérales tumultueuses. La région du Cachemire a longtemps été en proie à de violents affrontements armés entre les deux nations, forçant les Nations Unies à créer une mission de maintien de la paix, d’abord en 1949, puis en 1971, pour y surveiller un fragile cessez-le-feu. Par ailleurs, le Pakistan a débuté en 1972 ses recherches pour la création d’une bombe atomique, en réaction au conflit de 1971 et à l’existence d’un programme nucléaire indien, lequel a mené son premier test en 1974, près de la frontière pakistanaise. À ce jour, plusieurs incidents frontaliers et des provocations politiques continuent d’alimenter les relations bouillantes entre ces deux États.

Par la suite, l’Inde maintient aussi des relations houleuses avec une puissance régionale majeure, soit la Chine. En plus de revendiquer une parcelle du territoire du Cachemire, la Chine est aussi impliquée dans un autre conflit territorial avec son voisin indien, dans la région de l’Arunachal Pradesh. Effectivement, la Chine ne reconnaît pas la ligne McMahon, un tracé imposé en 1914 par l’Empire britannique pour délimiter les frontières sino-népalaise et sino-indienne. Au contraire, elle juge que l’Arunachal Pradesh est une région du Tibet – soit, une région de la Chine. D’un autre côté, l’Inde considère plutôt ce territoire comme étant l’un de ses États fédérés. Par conséquent, depuis plusieurs décennies, autant l’Inde que la Chine procèdent à des manœuvres militaires provocatrices le long de la frontière contestée, dont des déplacements d’un grand nombre de troupes. Pour ajouter à la discorde, l’Inde a offert en 1959 l’asile au chef spirituel tibétain, le Dalaï Lama, tandis qu’elle semble toujours vouloir appuyer la cause tibétaine, au détriment de la politique centralisatrice de Pékin. Enfin, l’élément le plus perturbateur du différend sino-indien est probablement le fait que Pékin ait longtemps appuyé le développement militaire du Pakistan – notamment en vendant des armes de toute sorte à Islamabad – mais surtout, en contribuant à son programme d’armement nucléaire. Compte tenu des relations difficiles entre les deux anciennes colonies britanniques, nul doute que ce soutien est perçu à New Delhi comme étant très hostile.

Finalement, une autre problématique éventuelle en lien avec l’arme nucléaire, souvent moins explorée, pourrait fortement menacer la paix et la sécurité internationales. Il s’agit de la question de l’appropriation de la technologie nucléaire à des fins militaires par des acteurs non-étatiques, ou tout État jugé « voyou » ou « dangereux ». À ce sujet, au début des années 2000, le père de la bombe atomique pakistanaise, Abdul Qadeer Khan, a affirmé qu’il avait fourni des secrets à la Corée du Nord, la Libye et l’Iran, dans le but de faciliter le développement de l’arme nucléaire. Notons d’ailleurs que la Libye de Mouammar Khadafi possède un historique bien documenté en ce qui concerne le financement et l’encouragement du terrorisme (State-sponsored terrorism) ; il aurait donc été plutôt inquiétant qu’un État comme la Libye obtienne son propre arsenal nucléaire. En ce qui concerne la Corée du Nord, nous pouvons actuellement observer les troublantes répercussions liées au perfectionnement du programme nucléaire de cet État, souvent catégorisé de « voyou » et qui a été visé par sept résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies depuis 2006.

Sous un autre angle, en suivant les traces d’un journaliste français qui s’était apparemment procuré une ogive nucléaire sur le marché noir en Bulgarie, Vice News a mené une enquête dans ce pays de l’Europe de l’Est afin de déterminer si cela était réellement possible. Ce court documentaire, dans lequel on tisse même des liens entre un vendeur du marché noir en question et Oussama Ben Laben, semble indiquer que ce soit bien possible. Même s’il nous est pratiquement impossible de confirmer avec certitude la véracité de ces allégations, il est toutefois loisible de craindre l’existence de telles ventes illicites. La possibilité qu’un acteur non-étatique, dont un groupe terroriste quelconque, puisse mettre la main sur l’arme nucléaire – ou toute autre arme de destruction massive – est donc non négligeable. Cette hypothèse est d’ailleurs de plus en plus étudiée dans la littérature concernée.

En somme, par sa portée destructrice incomparable, l’arme nucléaire représente un élément important des relations internationales et, comme la présente crise dans la péninsule coréenne nous le prouve, son existence menace l’ensemble de la communauté internationale. Dans le cadre de la Guerre froide, la doctrine de la dissuasion nucléaire avait prédominance à Washington et Moscou, faisant en sorte que les deux superpuissances visaient uniquement l’expansion de leur arsenal. De nos jours, avec neuf États qui possèdent cette arme de destruction massive, l’acquisition, la possession et l’accumulation d’un stock d’armement nucléaire devraient être des actions découragées par toutes les nations, puisque la « destruction mutuelle assurée » et la dissuasion nucléaire – bien que rassurantes de prime abord – représentent des doctrines qui ne font que porter le risque nucléaire à son paroxysme. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’on considère la possibilité que ce type d’armement puisse se retrouver entre de mauvaises mains, qu’il s’agisse de celles d’un dirigeant imprévisible ou celles d’un terroriste.

Crédits photo : illustration tirée du film satirique de Stanley Kubrick « Doctor Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb ».

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