Jonathan Wade, CD, analyste média au Centre sur la sécurité internationale.
La Russie est activement engagée dans un processus de modernisation de ses capacités d’interdictions d’accès (A2/AD) en Crimée depuis son annexion en 2014. Stratégiquement, la Crimée est d’une importance vitale pour la Russie dû à sa base navale de Sébastopol où le commandement de la flotte de la mer Noire se trouve. La proximité de pays de l’OTAN comme la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie oblige la Russie à renforcer sa présence militaire, ainsi que ses systèmes d’interdiction d’accès.
De plus, la Russie doit se doter d’une présence navale accrue avec la flotte de la mer Noire, plus particulièrement, ses sous-marins à propulsion diesel-électrique de type Projet 636.3 (Improved Kilo-class en anglais) qui sont extrêmement silencieux et ont plus de 45 jours d’autonomie. Ces sous-marins ont la capacité de tirer des missiles 3M-54 Kalibr.
Le concept d’A2/AD est de prévenir un adversaire d’entrer dans un théâtre à l’aide d’armement longue portée et de le priver d’une liberté de mouvement à l’aide d’armement courte et moyenne portée. La stratégie russe inclue :
- système de défense antiaérienne
- système de défense côtière antinavire
- opérations aériennes stratégiques
- renforcement de la flotte de la mer Noire
- système de guerre électronique et radar
Pour bien comprendre l’A2/AD russe, il faut se pencher sur chaque point en y incluant un aspect technique, car il est important de comprendre comment chaque système est utilisé.
Une des options principales offertes à la Russie pour sécuriser sa région est de déployer un nombre considérable de systèmes de missiles sol-air et antinavires en plus des missiles balistiques de courte portée « Iskander ».
En ajoutant des systèmes de guerre électroniques et des radars de longue portée aux différents types d’armement offerts, la Russie se dote d’un système d’alerte précoce et peut brouiller les radars et les communications des aéronefs ennemis avant même qu’ils quittent leurs espaces aériens.
Systèmes de défense antiaérienne
Le fait que l’OTAN préconise largement la supériorité aérienne avantage le système d’interdiction d’accès russe en Crimée. La disposition et le nombre de systèmes de défense antiaérienne russe couvrant la péninsule jusqu’aux portes de la Roumanie et au nord de la Turquie assurent un déploiement de missiles rapide en cas d’attaque aérienne de l’OTAN et couvrent l’entièreté de la région. Il est donc pratiquement impossible pour l’OTAN, même avec des avions furtifs, de pénétrer cette bulle de protection sans être intercepté ou détecté.
L’avantage que procure cette bulle de protection est la couverture complète de la zone par de multiples systèmes qui offrent une excellente défense en profondeur.

Les systèmes utilisés en Crimée, ou ceux qui seront déployés prochainement sont les suivants :
- S-300VM (SA-23 Gladiator/Giant)
- S-400 (SA-21 Growler
- Bouk-M1-2 (SA-17 Grizzly)
- Pantsir-S1 (SA-22 Greyhound)
- Tor-M2 (SA-N-9 Gauntlet)
- Missile balistique à courte portée Iskander (SS-26 Stone)
Avec une défense en profondeur, la Russie s’assure d’une protection accrue même si la première couche de protection est pénétrée. De plus, la majorité des systèmes de défense antiaérienne russes sont en mesure d’être liés par les mêmes postes de commandement, ce qui assure une meilleure couverture et une rapidité d’exécution.
Système de défense côtière antinavire
Il est vital pour la Crimée d’avoir un système de défense côtière antinavire pour empêcher une invasion maritime à partir de la mer Noire. Malgré la présence de la flotte de la mer Noire, la flotte maritime militaire de la Russie s’est dotée de systèmes mobiles capables d’engager et détruire des navires ennemis à partir de la côte.
Les systèmes utilisés en Crimée sont les suivants :
- K-300P Bastion P (SS-C-5 Stooge)
- 3K60 Bal (SSC-6 Sennight)
Par exemple, le K-300P utilise des missiles P-800 Oniks capables d’atteindre une cible à plus de 300 km, loin au-delà de la portée de tir de la majorité des vaisseaux de la flotte de la mer Noire, sans compter l’utilisation du missile de croisière 3M54K Kalibr.

Ces systèmes sont aussi une solution de dernier recours si l’OTAN domine la mer. Les forces russes auraient encore une chance d’engager les navires ennemis malgré l’absence de sa marine.
Opérations aériennes stratégiques
Les opérations aériennes stratégiques en Crimée offrent à la Russie une solution d’attaque contre des navires ou la possibilité d’intercepter des chasseurs ennemis. Cependant, pour être en mesure de qualifier les opérations aériennes russes en Crimée de stratégiques, la Russie devra déployer des bombardiers stratégiques de façon permanente.
Quelques exemples d’aéronefs à voilure fixe utilisés en Crimée :
- Su-24M & Su-24MR (Fencer-D & E)
- Su-27 (Flanker)
- Su-30SM (Flanker-C)
- Su-34 (Fullback)
Les capacités de guerre électronique des Su-24MP confèrent aussi un précieux avantage à la Russie.
Quelques exemples d’hélicoptères utilisés en Crimée :
- Mi-8 (Hip)
- Ka-27 (Helix)
- Mi-14 (Haze)
Malgré une formidable force aérienne présente en Crimée, l’absence de bombardier stratégique rend le déploiement de cette force aérienne incomplet. Les bombardiers stratégiques ont pour mission d’affaiblir la capacité des forces ennemies à faire la guerre. La présence de bombardiers Tu-22M3 (Backfire) en Crimée offrirait une force de frappe contre les pays de l’OTAN voisins en plus de déployer une grande quantité de mines marine près du détroit du Bosphore.
Renforcement de la flotte de la mer Noire
La flotte de la mer Noire occupe un rôle très important pour la Russie. Ayant accès à la mer Méditerranée, elle a un rôle particulièrement intéressant depuis le début de l’intervention russe en Syrie. De plus, elle protège la mer Noire qui, depuis quelques années, voit de plus en plus de vaisseaux de l’OTAN participer à des exercices multinationaux avec ses alliés.
Par contre, l’accès à cette mer se fait via le détroit du Bosphore qui est sous le contrôle turc qui peut, en temps de guerre, bloquer l’accès aux navires russes. Cependant, depuis la signature de la Convention de Montreux en 1936, la Russie — précédemment l’Union soviétique — jouit d’une liberté de passage.
La présence permanente de navires américains dans la mer Noire oblige aussi la Russie à se doter d’une flotte plus moderne et capable de repousser toutes tentatives ennemies d’approcher son flanc sud-ouest dont fait partie la Crimée.
Quelques types de navires, de sous-marins à propulsions diesels-électriques, ainsi que des missiles de croisière destinés à des cibles navales (3M54K) terrestres (3M14T) font partie du processus de modernisation de la flotte de la mer Noire.
- Sous-marin projet 636.3 « Improved Kilo-class »
- Frégate Amiral Grigorovich
- Corvette Buyan-M
- Missile de croisière 3M54K Kalibr (SS-N-27 Sizzler)
- Missile de croisière 3M14T Kalibr (SS-N-30)
Le sous-marin « projet 636.3 » est extrêmement discret et peut lancer des missiles 3M54K Kalibr à plus de 660 km sans être découvert. Avec la superficie de la mer Noire, ainsi que sa configuration géographique, il est d’une importance capitale que ces sous-marins soient quasi invisibles.

De plus, ce même sous-marin est en mesure de lancer des missiles 3M14T ayant une portée de 2 500 km sur des cibles terrestres. À plusieurs reprises, la marine russe a lancé ces missiles contre des cibles en Syrie. Les frégates Amiral Grigorovich et les corvettes Buyan-M sont aussi en mesure de lancer ces missiles.
Donc, il est facile de dire que la modernisation de la flotte de la mer Noire passe aussi par l’utilisation de ce missile qui, selon plusieurs experts, est d’une efficacité hors pair.
Système de guerre électronique et radar
Les guerres modernes ne se gagnent pas seulement avec des fantassins et des chars d’assaut. Les systèmes de guerre électronique et les radars sont d’une importance capitale pour empêcher ou perturber les communications ennemies en plus d’offrir un système d’alerte précoce.
La Russie reste discrète quant à ses capacités de guerre électronique, mais plus tôt en 2017, elle a déployé un système capable de brouiller les communications ennemies à plus de 3 000 km : le Murmansk-BN. Ce système peut bloquer les fréquences d’un système de communication globale de haute fréquence, couramment utilisé par les navires et aéronefs américains.
En déployant le Murmansk-BN en Crimée, la Russie est en mesure d’utiliser son système contre tout navire et avion qui approche son territoire ou qui vole au-dessus de la mer Noire. De plus, avec son efficacité à longue distance, ce système peut aussi brouiller toutes communications émanant des pays alliés de l’OTAN en Europe de l’Est.
En ce qui a trait au radar, la Russie construit actuellement un radar Voronezh-SM près de Sébastopol en Crimée. Ce radar remplacera le Dnestr et sa construction devrait se terminer en 2018.
Le radar Voronezh-SM peut détecter jusqu’à 500 objets simultanément à une distance de 6 000 km. Il utilise une longueur d’onde centimétrique qui lui permet de détecter des avions furtifs ou d’autres cibles normalement insaisissables.

Le déploiement de ce radar peut facilement couvrir le Gibraltar, la porte d’entrée de la mer Méditerranée, sans compter les autres installations radar Voronezh sur le territoire russe.
La Russie, qui est actuellement en pleine modernisation militaire, accorde beaucoup d’importance à ses systèmes de guerre électronique et ses radars pour améliorer ses capacités défensives tout en offrant un temps précieux de réaction à ses troupes.
En conclusion, la stratégie d’interdiction d’accès russe en Crimée est une opération très complexe, mais essentielle à la sécurité nationale. Tout en étant capable d’utiliser certaines de ses capacités de façon offensive, il est de mon avis que la Russie n’entrevoit pas ces options.
Ces mesures sont purement défensives, mais offrent une force de frappe impressionnante qui a un très grand pouvoir de dissuasion dans la région.
Instructif, Comme on peut le constater , on voit très bien leur motivation a conserver cette base coûte que coûte , Impératif peu importe le prix a payer .
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