Guillaume Corneau
Étudiant au baccalauréat en affaires publiques et relations internationales
Université Laval
Depuis le début de la guerre civile syrienne, plus de 200 Nord-Américains se sont joints à des groupes jihadistes qui jouissent d’une popularité grandissante dans plus de 74 pays. Ces combattants étrangers font particulièrement la une des médias depuis la déclaration du Califat par l’État Islamique (ÉI), notamment en raison des crimes commis à l’encontre des minorités établies sur le territoire revendiqué par l’organisation. La montée en puissance de l’ÉI a en outre mis en exergue une autre dynamique qui tend à complexifier la compréhension que l’on a des mobilisations de combattants transnationaux: le départ de plusieurs citoyens canadiens et américains vers les groupes Kurdes de Syrie et d’Irak.
Ils seraient des centaines à provenir des quatre coins de l’Occident, selon les dires d’un combattant sur place, même si cette évaluation peut paraître, à bien des égards, exagérée. Deux organisations en particulier semblent posséder des réseaux ouverts et structurés permettant d’appuyer et de faciliter ces départs: les Unités de Protection du Peuple (YPG) en Syrie via les «Lions of Rojava» et les Peshmergas en Irak depuis la «1st North American Expeditionary Force.
Néanmoins, et à ce jour, très peu d’attention a été accordée à ce phénomène qui reste relativement marginal. Toutefois, les volontaires se font de plus en plus nombreux et les exactions commises contre les kurdes Irakiens, ainsi que le siège de Kobané en Syrie, ont fait basculer les projecteurs médiatiques sur la résistance kurde des deux côtés de la frontière. Porter le regard sur cette vague de combattants étrangers peut nous aider à acquérir une meilleure compréhension du phénomène plus large des mobilisations transnationales de combattants étrangers. La littérature commence tout juste à s’intéresser à ce phénomène. Deux auteurs proposent un cadre d’analyse qui permet de saisir ces mobilisations. Malet soutient que l’engagement nécessite une identification personnelle de la part du combattant à la communauté à laquelle il souhaite se joindre (par ex: lien religieux, ethnique, etc.) et le sentiment que celle-ci est en réel danger de disparition. Hegghammer quant à lui, explique la mobilisation islamique depuis le milieu des années 1980 en Afghanistan par le «pan-islamist victime narrative» qui se veut un engagement dans la défense de la communauté musulmane menacée par un ennemi infidèle. Ces deux cadres sont-ils en mesure d’expliquer la mobilisation de Canadiens et d’Américains aux côtés des Kurdes? Ce papier entend faire un premier état des lieux de cet engagement à partir de sources ouvertes. Les observations qui suivront sont tirées d’articles de presse, des sites web officiels des réseaux et de plusieurs entrevues avec ces combattants qui ont été effectuées par des agences de presse. En outre, ces entretiens semblent plus faciles à réaliser car les individus interviewés jouissent d’une relative légitimité en Occident – comparativement aux membres de l’ÉI -, mais aussi en raison de l’ouverture des groupes auxquels ils revendiquent une appartenance à ce genre de participation médiatique.
Lions of Rojava
La page Facebook des Lions de Rojava (disparue)
semble être administrée directement par les Unités de Protection du Peuple Syriennes (YPG). En ce sens, elle présente plusieurs images tirées du front syrien et propose un lien internet vers le site officiel des YPG. À la prise de contact avec les administrateurs du site, un itinéraire est donné au volontaire, itinéraire qui se termine à la ville de Suleymaniya dans le Kurdistan irakien où le futur combattant est pris en charge par des officiels du groupe et transporté jusqu’en Syrie. Les YPG acceptent n’importe quel individu, quelque que soient ses expériences, et ceci, sans qu’il ait un réel passé militaire. Les administrateurs appellent cependant à la vacation hotspot». Les instructions conseillent aux voyageurs de ne pas emporter d’équipement militaire afin d’éviter d’éveiller les soupçons des autorités durant leur
périple. Le matériel nécessaire est distribué sur place et un entraînement est fourni aux nouveaux volontaires. Leur intégration sur la ligne de front se fait graduellement selon l’apprentissage de chaque individu. Les combattants peuvent s’attendre à connaître le «baptême du feu» très rapidement. Les Lions de Rojava semblent opter pour un système de filtre automatique à recrutement large et à qualité moindre, c’est-à-dire qu’ils considèrent les volontaires qui se rendent à destination comme des personnes dévouées et sérieuses (le filtre automatique) et concèdent à fournir l’équipement et l’entraînement sans prérequis quelconque.
1st North-American Expeditionary Force
La 1st North American Expeditionary Force (1st NA-EF), originaire du Canada, se veut être un collectif qui aide et conseille les volontaires désirant se joindre aux combats contre l’ÉI en Irak. Si elle ne se déclare pas explicitement affiliée aux Peshmergas kurdes, un drapeau aux couleurs de l’organisation est visible sur son site et les témoignages d’individus ayant des liens directs avec la 1st NA-EF se veulent la preuve d’une association réelle. Par ailleurs, la 1st NA-EF affirme sur sa page internet n’avoir aucun lien avec les Lions de Rojava: «please note that the 1st is not afflilated with the Lions of Rojava in any way!», ce qui dénoterait d’une certaine concurrence entre les deux organisations. À l’instar du premier réseau, celui-ci mène une sélection très rigoureuse des candidats qui proposent leurs services. Chaque profil est examiné avec le souci de fournir aux Peshmergas des combattants endurants et capables. Ainsi, la 1st NA-EF exige quant à elle une expérience militaire avec au minimum un déploiement en zone de combat. «The 1st 17NAEF currently has 8 members including members located in Iraqi Kurdistan, these members include Veterans of The RCR [Royal Canadian Regiment], CSOR [CanadianSpecial Operations Regiment], PPCLI [Princess Patricia’s Canadian Light Infantry], RCD [Royal Canadian Dragoons], USMC [United-States Marine Corps] and US ARMY».
Se défendant de recruter des militaires actifs, elle encourage ces derniers à rester dans leurs institutions respectives et ne pas tenter de joindre les combats en Irak. Contrairement aux instructions pour la Syrie, celles pour joindre l’Irak suggèrent au candidat d’emporter avec lui son équipement militaire et de l’argent pour se procurer une arme sur place. Tout ce processus de sélection rend le recrutement particulièrement lent.
La 1st NA-EF donne l’impression d’être un réseau bien structuré, cohérent et empreint d’un certain professionnalisme. Son processus rigoureux peut toutefois faire retarder de beaucoup les engagements et sa sélection pointilleuse pourrait éliminer beaucoup de candidats. Il est donc envisageable que les volontaires qui joignent les Peshmergas soient moins nombreux que ceux qui utilisent les canaux des Lions de Rajova, mais que leur qualité et leurs aptitudes au combat soient plus élevées.
Réseau | Groupe | Étude des dossiers à l’inscription | Expérience militaire requise | Type de système |
Lions of Rojava | YPG | Non | Non | Filtre automatique à recrutement large et qualité moindre |
1st | Peshmerga | Oui | Oui | Filtre sélectif à recrutement serré et qualité élevée |
Des motivations multiples
Les volontaires nord-américains ne s’avèrent en général avoir aucun lien, ni religieux , ni ethnique, avec les Kurdes autant de Syrie que d’Irak. Les deux contributions 19théoriques – celles de Malet et d’Hegghammer – aussi pertinentes soient-elles, semblent ainsi peu applicables pour expliquer l’engagement de ces combattants qui se joignent aux YPG et aux Peshmergas. Les chercheurs doivent explorer de nouvelles avenues afin d’expliquer la motivation de ces hommes à rejoindre un théâtre de guerre comme la Syrie ou l’Irak pour combattre aux côtés de groupes avec lesquels ils ne partagent, a priori, que très peu de points communs. Dans les deux cas, les récits montrent que le désir d’aventure semble être un facteur important. D’autant plus que pour la 1st NA-EF, les volontaires ont déjà connu les effets addictifs de l’adrénaline et de l’esprit de corps en zone de combat. Le sentiment d’impuissance émanant d’une perception d’un statu quo en Occident est également possiblement une cause. Certains anciens militaires américains perçoivent le travail22 qu’ils ont effectué en Irak comme restant incomplet. Toutefois, l’élément le plus récurrent sur les deux fronts est la volonté de freiner la violence de l’ÉI. Ce ne serait donc pas une mobilisation pour protéger une communauté particulière à laquelle les combattants s’identifient, comme nous l’avons précédemment introduit, mais plutôt un «contre mouvement» pour s’impliquer dans la lutte contre un ennemi devant à tout prixêtre anéanti; les Kurdes étant la seule force disponible et légitime pour accomplir cet objectif. En ce sens, l’appartenance à la communauté pourrait être créée a posteriori au 25 contact des Kurdes sur le champ de bataille. La nuance est faible, mais cette perspective de recherche peut s’avérer grandement pertinente pour comprendre pourquoi des citoyens nord-américains, certains anciennement militaires, choisissent de combattre avec des groupes locaux alors que leurs armées sont déployées à seulement quelques dizaines de kilomètre de leurs fronts.
Conclusion
Au terme de cette courte réflexion, nous constatons que les volontaires semblent être accueillis chaleureusement dès leur arrivée et jouissent de tous les avantages que les Kurdes sont en mesure de leurs fournir. Néanmoins, si le support logistique est gratuit, aucun paiement ou rémunération n’est consenti aux combattants occidentaux. Les deux réseaux sont bien clairs sur ce point tant sur leurs pages internet que dans leurs instructions de voyage. Les groupes et les volontaires semblent en outre vouloir mettre l’emphase sur cet aspect, probablement pour défaire les rumeurs de mercenariat qui leur sont attribuées. Contrairement aux combattants dans les rangs de l’ÉI, les récits affirment que les volontaires occidentaux sont libres de quitter leurs groupes quand ils le souhaitent. Si la peur d’être pris en otages par l’ÉI est bien présente, les combattants occidentaux qui luttent aux côtés des Kurdes d’Irak et de Syrie s’avèrent particulièrement déterminés à détruire l’État Islamique. Cette volonté de contrer le groupe pourrait donc être le principal moteur de leur engagement. Le désir de défendre une communauté en particulier n’apparaît pas comme une motivation saillante. Un tel constat ouvre de nouvelles perspectives de recherches sur un phénomène – celui des mobilisations transnationales de combattants étrangers – encore peu étudié.
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