Derrière la crise diplomatique dans la péninsule arabique

Antoni Robert

L’Arabie Saoudite, l’Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis ont tous décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar, richissime État gazier que ces derniers accusent de « soutien au terrorisme ». Cette crise régionale est la plus grave à survenir depuis la création du Conseil de coopération du Golfe, en 1981.

Le 5 juin dernier, cette micro-monarchie de la péninsule arabique s’est retrouvée placée sous un quasi-embargo, puisque sa seule frontière terrestre a été bloquée par l’Arabie Saoudite. Ainsi, plus aucun véhicule de marchandises ne peut transiger vers le Qatar. De plus, d’autres mesures économiques, telles que la fermeture des frontières maritimes, l’interdiction de survol et des restrictions sur le mouvement des personnes forcent l’isolement de Doha. Par le fait même, le Qatar se retrouve donc exclu de la coalition militaire arabe au Yémen, dirigée par Riyad depuis mars 2015.

En conséquence, les diplomates et citoyens qataris qui se trouvaient dans ces quatre pays arabes ont été appelés à rentrer dans leur pays, les bureaux d’Al Jazeera – grand média qatari – ont été fermés à Riyad et six compagnies aériennes du Golfe ont suspendu leurs vols vers Doha. La compagnie aérienne nationale Qatar Airways se retrouve interdite de vol dans l’espace aérien de ses voisins, ce qui complique considérablement  la majorité de ses itinéraires. À travers le Qatar, les supermarchés ont été pris d’assaut, de peur d’une pénurie alimentaire, puisque 40% des denrées alimentaires arrivent par la frontière saoudienne.

Les détracteurs du Qatar prétendent officiellement que ce dernier soutient le terrorisme et la déstabilisation régionale, en ayant notamment des liens avec Al-Qaïda, le groupe armé État islamique, le Hezbollah et les Frères musulmans, confrérie considérée comme un groupe terroriste par des États du Golfe et l’Égypte. De plus, on accuse Doha de complaisance avec l’Iran, grand rival chiite du royaume saoudien sunnite.

Néanmoins, des motivations plus tacites pourraient avoir poussé Riyad et Abu Dhabi à tenter d’isoler le Qatar. D’abord, l’objectif premier serait d’attirer le regard des États-Unis, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En effet, le président Trump a récemment visité Riyad, fin mai, et a appelé les nations arabes à contribuer à « l’élimination de l’extrémisme islamiste ». L’objectif pour l’Arabie Saoudite et ses alliés serait donc de « […] faire comprendre aux États-Unis qu’ils sont les partenaires à privilégier pour combattre le terrorisme », affirme Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Moyen-Orient.

Ensuite, le Qatar a longtemps été critiqué par ses voisins arabes pour son soutien envers l’organisation des Frères Musulmans, une mouvance islamiste qui a momentanément pris le pouvoir en Égypte, en conséquence du Printemps arabe. L’organisation est d’ailleurs spécifiquement identifiée comme une menace au système de monarchie héréditaire de Riyad et d’Abu Dhabi. Il n’est donc pas surprenant que ces deux États identifient délibérément la confrérie en tant que mouvance terroriste, et non comme une organisation islamiste. Ainsi, les Saoudiens ne pardonnent pas à Doha d’avoir soutenu les Frères Musulmans pendant la révolte égyptienne, tout comme ils ne pardonnent pas à la chaîne qatarie Al Jazeera, très suivie dans la région, d’avoir médiatisé sans réserve les mouvements de contestation à l’encontre des régimes autoritaires lors du Printemps arabe.

Pour faire suite à cette tentative d’isolement, les États arabes en question ont soumis un ultimatum à Doha, qui consiste en une liste de 13 demandes fermes, auxquelles le Qatar doit se soumettre s’il désire revenir au statu quoParmi ces demandes extrêmes et sévères, on retrouve principalement l’ordre de fermer la chaîne Al Jazeera, de diminuer considérablement les liens diplomatiques avec l’Iran, de fermer une base militaire turque au Qatar et de rompre tous les liens présumés avec toute « organisation terroriste, sectaire ou idéologique ».

Cet ultimatum arrivera à échéance à la fin du 2 juillet, et tout semble déjà indiquer que le Qatar ne se pliera à aucune demande. Effectivement, le ministre qatari des Affaires étrangères, Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, a affirmé que cette liste est « faite pour être rejetée » et que « tout le monde est conscient que ces demandes sont destinées à porter atteinte à la souveraineté de l’État du Qatar, à taire la liberté d’expression et à imposer au Qatar des mécanismes contraignants de vérification et de probation ».

Les États-Unis, alliés traditionnels de l’Arabie Saoudite dans la région, occupent une position plutôt ambiguë. Sans directement dénoncer l’isolement du Qatar de la part des quatre États arabes, le secrétaire d’État Rex Tillerson a appelé les Saoudiens à alléger le blocus et a confirmé que les 13 demandes devraient être « raisonnables et réalisables ». Compte tenu de la situation contradictoire, nul doute que Washington préfère la médiation entre ses deux alliés, plutôt que d’appuyer un parti au détriment d’un autre. D’un côté, Riyad représente un allié régional de longue date. De l’autre côté, le Qatar abrite une base militaire américaine de plus de 10 000 troupes avec un commandement central et le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, a récemment signé, en pleine crise, un contrat de 12 milliards de dollars pour la vente d’avions F-15 au Qatar.

Téhéran, qui se retrouve constamment opposé à l’Arabie Saoudite, que ce soit dans les conflits au Yémen, en Irak ou en Syrie, a ouvert ses espaces aérien, maritime et terrestre au Qatar, en affirmant que des désaccords entre les pays de la région ne devraient pas être réglés par l’intimidation, la pression ou des sanctions. De plus, l’Iran envoie plus de 1000 tonnes par jour de produits alimentaires au Qatar.

Quant à elle, la Turquie a immédiatement offert son soutien au Qatar, alors que le président turc Erdogan a déclaré que l’ultimatum représentait une « attaque contre les droits souverains d’un pays ». De plus, quelques jours après le début de la crise diplomatique, Ankara a autorisé un accord de coopération militaire avec le Qatar, selon lequel la Turquie enverra jusqu’à 1000 soldats à sa base militaire qatarie, en plus d’un contingent de véhicules blindés et possiblement un autre contingent de sa force aérienne. Les forces militaires turques ont aussi débuté des exercices militaires au Qatar.

Jusqu’à maintenant, aucun acteur proéminent de la communauté internationale n’a soutenu les démarches entreprises par l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte. D’ailleurs, ces démarches, qui visaient entre autres à éloigner l’influence de l’Iran et de la Turquie de la région, provoqueront probablement l’effet contraire, puisque Téhéran offre de l’aide indispensable au Qatar et qu’Ankara accentue sa coopération militaire avec Doha. De plus, Washington n’est visiblement pas en accord avec la manière de procéder de l’Arabie Saoudite et ses alliés régionaux.

Au final, rappelons que l’Arabie Saoudite reproche principalement au Qatar de « soutenir le terrorisme ». Toutefois, le royaume saoudien n’est lui-même pas étranger à ce type d’accusations. En effet, des ressortissants saoudiens sont depuis longtemps soupçonnés de financer diverses organisations islamistes radicales, alors que le gouvernement saoudien fermerait les yeux sur ces activités illicites. L’accusation de « soutien au terrorisme » ne serait donc peut-être qu’une façade pour isoler le Qatar et le forcer à s’aligner aux désirs du voisin saoudien.

Pour l’instant, il est difficile de croire que l’échéance de l’ultimatum engendrerait des mesures militaires coercitives. Cela reste tout de même une possibilité.

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